samedi 10 avril 2021

Une déchirure comme un ravin

Une déchirure comme un ravin dans lequel pleuvent les échos 

Des instants incertains d’une jeunesse vacillante 

Temple oublié des lamentations qui frissonnent 

Par une fissure je te retrouve enfin. 


Tendre écorchure, ne me maudis pas 

D’avoir tenté t’étouffer alors que tu hurlais 

Avec des fibres de sourires et des rires éclipsés 

Le sang de nos pleurs peut à nouveau couler. 


Me perdre dans les nues de ton gouffre immortel 

M’est comme un rêve où je m’élève, abandonnée 

N’est-il pas délicieux d’arrêter de lutter ? 

Emportée par les brisures des vagues de douleur. 


Souvenons-nous ensemble des élégies chantées 

Par une nostalgie encore frêle, aujourd’hui prétentieuse 

Je fredonnais des airs emmêlés de sanglots 

Tortueux chemins de ronces me menant enfin à toi. 


Mais jamais, plus jamais, ne résisterai-je 

Ne tenterai-je d’emprunter des terrains ensoleillés 

Sans brisures, sans crevasses, remplis de promesses 

Espérances comme des amours ne m’étant destinés. 


Une déchirure comme les bras d’une mère aimante 

Comme les premières rougeurs perçues aux joues d’un bien-aimé 

Comme le réveil de l’aube après un long sillage de jais 

Je te retrouve, douce tristesse que je n’aurais jamais dû quitter.

jeudi 5 mars 2020

Où s’en est allée la camaraderie des coeurs ?

Où s’en est allée la camaraderie des coeurs ?


Il vient un moment au cours d’une vie quand on s’interroge. Sur ce qui ne va pas, je veux dire. Qu’on appelle aux dieux de sa propre raison pour trouver les réponses à sa solitude, son ennui, son désarroi. Les yeux levés, les mains réunies en prière, on s’agenouille devant son propre reflet et on attend désespérément un signe qui n’advient pas. Un quelconque miracle, envoyé par un messager inconnu, pour que l’existence ne paraisse plus aussi incolore et inodore. Pour retrouver le rouge de ses joues, le blanc de son sourire dans le miroir. 

Pour certains, ce sourire viendra de la promesse d’un jour infini en bord de mer, et le murmure des vagues qui se brisent contre les rochers. Pour d’autres, ce sera la compagnie éternelle d’un amour impossible, dénué de réciprocité. 

Pour moi, seules des retrouvailles avec un monde beau pourront me bercer au bonheur. Beau ? Qu’est-ce que cela veut dire ? N’avons-nous pas déjà un monde « beau », avec ses plaines sans fin, ses océans aux mille mystères et ses villes pétillantes ? Il semblerait, du moins pour cette jeunesse blasée que j’accuse, mais dont pourtant je fais inéluctablement part. 

Néanmoins, il faut se rendre à l’évidence, celle qui hurle en moi et me ronge de l’intérieur: penser ainsi, c’est ignorer ce qui importe par-dessus tout pour nous autres esprits nourrissons. Je parle de l’amour jeune. De l’amour fou. Celui qui remplit les livres dans nos étagères, qui nourrit la musique qui nous berce soir après soir, qui saigne sur les tableaux devant lesquels nous nous émerveillons. Celui qu'il est au final interdit d’ignorer.

Autour de moi, je constate, j’observe, puis je me lamente. Partout, où que j’aille, les jeunes âmes sont éteintes. Autrefois si fougueuses, si vivaces, comme dépeintes dans les poèmes d’Aragon, elles sont aujourd’hui vidées de la force qui les rendait si belles. Et pour cause : plus personne ne cherche à aimer. Les hommes, devenus superficiels et paresseux, se contentent d’atténuer leurs désirs passagers en faisant liste au passage de leurs conquêtes pour rassurer leur ego et comparer avec d’autres semblables. Qu’importe s’ils dilapident quelques cœurs au passage. Il y en aura toujours d’autres. Et les femmes, exaspérées qu’on se nourrisse du sang de cet organe autrefois battant, s’abandonnent aux jeux de l’homme mièvre, en supposant qu’au final, c’est ce qu’elles trouveront de mieux. 

Où s’en est allée la camaraderie des cœurs ? Se serait-elle suicidée ? D’abord tristement lassée par cette interrogation, déçue ensuite, me voilà finalement envenimée par l’idée que les débuts de la véritable passion ne seraient plus que vestiges. 

Amis, je vous en conjure, dites-moi que l’ivresse de la découverte de l’Autre, ce merveilleux Autre dont on veut boire et corps et pensées, vous fait frémir aussi ? Que vous n’êtes pas juste lasses, passifs et ultimement complaisants de vous noyer dans une mer de profils virtuels aux décolletés trop pleins et aux têtes trop vides ? 

Amies, je m’adresse à vous aussi. Seriez-vous donc rassurées par un message furtif, envoyé à une heure trop tardive, qui vous promet une douce attention ? Ou satisfaites par quelques belles paroles, à moitié mâchées, par celui dont le corps est nu mais l’esprit occupé ? 

Je m’indigne devant tout cela. Plus je m’interroge, et plus je tire la conclusion que le jeune amour, celui de nos vingt ans, n’est plus qu’écrans trop lisses et  priorités brouillées. Que la poésie d’un amour physique qui éclôt n’est désormais qu’un vulgaire entremêlement de jambes sous des draps trop tièdes. Que toute découverte de l’Autre n’est que le désir instantané d’un moment qui se révèlera aussitôt éphémère. Comme lorsqu’on reçoit une notification téléphonique. Ce son ridicule, aussi petit qu’insignifiant, auquel on accorde tous pourtant tant d’importance.

Prendre, puis jeter, puis reprendre, pour à nouveau se débarrasser. Ainsi va le monde de l’amour jeune. Vous n’avez pas honte de cela ? Femmes et hommes, ne voyez-vous pas que vous contribuez à l’appauvrissement d’une Terre déjà à terre, qui lutte de ses dernières forces pour faire don d’un peu de beauté ? Quitte à me répéter dans une multitude d’écrits que sans doute personne ne lit réellement- simplement survole, un œil divergeant sur un réseau de rencontres aux profils génériques - je ne cesserai de le faire. Moi aussi, je me battrai pour conserver la beauté de l’amour jeune, l’amour fou. Je ne me contenterai pas d’être qu’une parcelle de la vie d’un Autre, d’être qu’un amas d’os et de chair à balancer dans un four crématoire une fois la nuit passée. Je refuserai aussi d’être une ombre, poussière vacillante, écrasée par les aléas d’une infidélité masquée par de fausses intentions. 

Alors, femmes et hommes, me voilà à cours d’interrogation. Je ne cherche plus de signe miraculeux, ni d’excuses aux comportements d’une génération saturée par la facilité : j’en ferai ma mission d’accompagner le monde à bon port, de rester à son chevet jusqu’à ce qu’il s’éteigne, lui dont la lumière brille réellement. Et à moi seule s’il le faut, je raviverai, le temps d’un instant éternel, sa beauté. 


jeudi 26 décembre 2019

Solitude provençale


Une grande solitude m’emplit - ou plutôt, s’empare de moi - quand débute mon escapade hivernale annuelle. Au creux du sein d’une Provence éternelle et embaumée, dont la peau striée de vignes et l’haleine de lavande ne cessèrent de me bercer durant l’enfance, j’y trouve et prison et refuge, année après année. Solitude, et non pas solipsisme, quoiqu’au bout de quelques jours - ou serait-ce des semaines ? - les deux termes se confondent dans un grand flou éclatant. S’habituer à être seule, puis ensuite le désirer. Ou s’y accoutumer, sûrement.
Douce hôtesse, tendre aubergiste, ma belle maîtresse du sud-est  m’accueille chaque mois de décembre bien apprêtée : elle sait que je lui viens brisée, amputée à nouveau d’un espoir amoureux. 

Loyale, pourtant, elle ne mentionne guère mes fautes répétées. Si ce n’est que lors de certaines nuits fiévreuses, quand sa folie se manifeste. Envenimée, incontrôlable, elle me fouette, me heurte alors violemment de mes torts par voie d’un mistral déchaîné. 
Mais le lendemain, tout est oublié, et la caresse de la brise s’en va embrasser un pin parasol, qui à son tour peint sur la pierre de la maison une ombre lactée, signature concluante d’un pardon m’étant adressé. 

Solitude, donc. Naissante d’abord, puis grandissante, trépidante, hâtive de m’imprégner de son visqueux poison, elle s’immisce dès le matin sous mes paupières, s’étend jusqu’à ma gorge nue pour me lacérer les hanches, les cuisses et le sexe. Elle s’y arrête toujours. Après tout, inutile d’aller plus loin :  la porte de l’amour étant donc handicapée, quel intérêt de poursuivre la croisade contre le plaisir à deux ? 
Ça y est, elle m’enveloppe. Mes prunelles commencent à saigner. Je m’abandonne à la douleur, allongée sous la tiédeur de ma propre peau. Elle sera bientôt lisse, froide, et belle ainsi. J’aime bien penser qu’on me retrouvera toute vêtue de marbre. Seule, oui, mais exquise car intacte. 
Je suis lasse. Sentiment familier, la solitude. Et la lueur de la fougue amoureuse, autrefois si vivace, je la sens déjà meurtrir, dépérir. Un  soir, elle tirera enfin sa révérence. S’éteindre. Verbe dont le pronom est personnel et réfléchi. 

Solitude, chère amie. Je ne t’en veux plus. Comme moi, tu es incomprise, impossible, imparfaite. Comme moi, tu n’es pas espérée. Personne ne pleure non plus ton absence lors d’un voyage lointain. Nul ne te maudit parce que tu hantes ses pensées, et que tu l’incapacites à vivre sans toi. Solitude, finalement, m’appartiens-tu ? Serait-ce donc toi, la moitié manquante à mon semblant d’existence ? Peut-être. Tu ne me le diras jamais, ça du moins j’en ai la certitude. Tu n’aimes pas la compagnie. Mais au moins, jusqu’à la fin je le sais, demeurera ma douce et tendre, ma belle Provence. 

mercredi 7 août 2019

Auprès de toi, les étoiles

La grande voile enlace les étoiles,
J’aimerais les avoir auprès de moi
Qu’elles goûtent à l’air de la mer
Salée; comme ta bouche après l’amour

Le chant des voix d’été, des tambours au loin, 
Mêlés à l’eau endormie qui ronronne, 
Et moi qui l’écoute lécher,
Lentement,
Le dos des rochers;
Ombres lisses si sensuelles,

Or seulement la nuit 
Au creux de l’intimité

La brise s’entremêle à mes cheveux, 
Elle est adoucie, 
Allégée, aussi
Par l’écho de l’insouciance vivante et enivrée,
Là-bas vers la ville. 

Des éclats de souvenirs brillent sur les vagues, 
Les reflets des ces images qu’on a connues, 
Elles flottent
Entre les draps frais où nos jambes s’effleuraient 
Autrefois

Je tangue, bercée; le vin blanc aide aussi,
Rêveuse de caryatides laiteuses et de maisons terracotta
Les yeux rivés sur mes silencieuses complices,
C’est toi que j’aperçois parmi les étoiles. 



lundi 24 décembre 2018

Le temps bleu


Le temps bleu

J’entrevis par la fenêtre un tableau d’astres et de ciel bleu. La nuit, voile solitaire et omniprésent, dessinait l’ombre des cèdres, tissait le murmure des hautes herbes entremêlées au vent. Et les figures de mon imagination avaient bondi au creux de cette toile, s’étaient tapies parmi les vignes, attendaient patiemment, avec dessein de vice ou non, que je les rejoigne. Une invitation à l’obscur, à l’occulte, qu’est la nuit. Mais aussi aux songes. Ceux d’un souvenir autrefois lointain, ou d’un désir jamais formulé. A l’heure où le soleil tire sa révérence somptueuse, striée d’une caresse d’or cuivré, puis se retire aisément, le tombeau des secrets nocturnes s’ouvre et éclaire les coeurs naïfs tandis que s’éteint la raison.
La mienne, du moins. Car si la promesse d’une soirée revêtissait l’hermine d’impératrice dont se pare l’espoir - surtout lorsque passée en bonne compagnie - je finissais généralement par m’y perdre. Ou plus précisément, d’y délaisser mon bon jugement. Oui, la nuit me délie, et tandis qu’elle s’écoule et que le champagne coule et que les rires se lient, moi je flotte. Pas n’importe où, mais sur un nuage d’heures confuses, de minutes et de secondes bousculées. Sur le tapis volant d’un temps bleu, que l’on ne veut plus jamais quitter.
A la dernière arabesque du crépuscule, quand l’appel de la nuit retentit, un navire vient se heurter contre les piliers de ma raison et m’emporte parmi les flots. Inutile de préciser qu’il coule. A chaque fois. Pourquoi donc y revenir, nuit après nuit? Il ne faut pas oublier que ma raison s’est éclipsée. Elle reviendra demain à l’aube. Mais comme après avoir inhalé les effluves de l’opium, rien ne sert de lutter. Une fois saisi par le temps bleu, le mieux est d’y céder.
Alors tout peut recommencer.

dimanche 2 septembre 2018

Extrait de roman

Comme toute histoire qui se veut belle, je l’ai rencontré pour la première fois en été. A l’aube du mois d’août, précisément, lorsque la notion de travail s’évapore enfin en simple souvenir; qu’on se découvre pour les vacances un engouement d’une intensité qui fait presque oublier la réalité des choses. Pour moi, cela s’est fait dans notre maison de vacances familiale, au Sud, dans un petit creux de verdure et de vignobles entre Avignon et Carpentras. Un havre de calme et de volupté, au doux nom des Seyrels, où s’entremêlent la caresse chaleureuse du soleil et le murmure plus ou moins docile du mistral saisonnier. Perdue parmi plusieurs chemins lointains et inconnus, notre ferme réaménagée se dressait, solitaire et grandiose, et nous attendait chaque été. Elle rappelait une belle femme triste, par sa peau de briques crémeuses, fissurées, et ses volets bleu clair, tels des yeux limpides voilés de larmes. A elle seule, elle représentait toute l'enfance. Toute mon enfance.
Des parties de cache-cache dans les champs d’oliviers aux cueillettes de cerises parmi les longues herbes pâles, dont mon frère et moi rentrions au soir les doigts teintés de pourpre, elle avait tout vu, tout observé, tout surveillé. Et chaque été, elle permettait à ce que je m'éloigne quelque temps de l’existence morose et conforme que mène l’écolière parisienne à l’année. Encore aujourd’hui, je voue une préférence pour les tâches de fruits, plutôt que l'encre.
Ainsi, à l'arrivée annuelle des beaux jours, Les Seyrels venait me couver de la réalité et m’enseigner l’évasion. En y repensant, ce n’est donc pas si étonnant que ce soit là-bas, en cette saison, que je me suis mise à l’aimer, lui.

Je venais d’avoir vingt ans, et si cela peut paraître tard pour ce que je vais raconter, je n’avais jamais vraiment connu l’amour. Rien, ni même de simples flirts, d’histoires à avouer à mes amis, tard le soir, les joues rougissantes et le coeur encore chaud. Seules avais-je à mon compteur quelques vulgaires amourettes, qui sur le moment semblaient dignes d'être tirées de la plume de Musset, mais au final n’étaient que le fruit surestimé de mon imagination romantique.

Pourtant, j’étais loin d’être prude, ou timide. Au contraire, j’aimais énormément la compagnie masculine. Les hommes tout court. Au point où je leur consacrais une place primordiale au sein de ma vie, avant même les études et l’amitié. Une place qui s’avérait toujours peu méritée, après coup, car évidemment exacerbée par mon envie d’étancher mes échecs amoureux en sublimant une banale conquête.
Avant de le rencontrer, je papillonnais donc dans Paris, jonglant la compagnie d’un écrivain peu talentueux, rencontré en boîte de nuit, avec celle d’un fils de noblesse dont la richesse financière dépassait largement celle d’esprit. Sans vraiment y apporter d’importance, sinon celle que j’accordais à bannir l’ennui.

lundi 23 octobre 2017

Réalité onirique

Il était intense, comme un coucher de soleil après une tempête au printemps. Ses yeux à eux seuls suffisaient à réveiller la brûlure du désir, de la douleur. C'étaient les vaisseaux d'un drame sentimental en devenir. Deux globes bleu azur, limpides, brisés seulement par quelques éclats pourpre, et qui semblaient détenir l’entièreté du monde sous un voile de cils de jais. Sa bouche était celle d’un chérubin, tracée par le pinceau d’un artiste, rougie par la sensualité; faite pour mordre, pour susurrer, et pour aimer. C'était un être autour duquel on ne pouvait s’empêcher de s’abaisser à un certain instinct animal, celui de la méfiance, par peur d’un jour le voir arraché à soi. Tout perdre.

Son pas, gracieux et félin, était la preuve de sa gourmandise, son refus à la monogamie. Et ses pupilles écumaient rapidement les rues, les terrasses des cafés, les pistes des boîtes de nuit à la recherche d'une Autre: une entité plus vivante, au parfum sucré, qui lui donnerait la réalité du rêve, et non pas juste l’illusion. Car il n’était pas un homme entier, mais l’assemblage d’une multitude de voyages, d’expériences, et de souvenirs cousus ensemble par un fil de passion, empreinte éternelle des femmes avec qui il avait été précédemment, qui languissaient sous sa peau pour faire battre son coeur. Il ne supportait pas l’ennui, ni la monotonie de la vie, la vraie, et acceptait uniquement des visiteurs éphémères dans la sienne pour combler le gris sale d’une existence banale. Des individus de passage, tristes divertissements aux visages flous, dont l’occupation se limitait à son amusement, à voiler la vérité du monde, et à flouter celle-ci dans un jeu de miroirs. Si il avait été un livre, c'est Sagan qui l’aurait écrit.

Moi, je ne voulais pas faire partie de ces poussières temporelles. J’aurais voulu être la Muse, la Seule, sa drogue indispensable; celle dont le manque ne pouvait que mener à la fatalité. J’aurais voulu me démarquer, être dotée du don inné qu’est cet hypnotisme, ce certain je ne sais quoi que revêt la femme irrésistible, qui fait du prédateur la véritable proie.

Mais c’était lui le véritable maître de cette valse des corps et de l’esprit. Au bout de ce qui aurait pu être un souffle, une poignée de secondes, son toucher m’était déjà devenu enivrant et nécessaire, comme un verre de vin autrefois, avant notre rencontre… quand il n’était pas encore étoile et moi orbite. L’étreinte serrée de ses bras, la caresse dure de son regard m’étaient devenus seuls plaisirs, remèdes uniques à mon manque d’amour propre, caractéristique culte à la génération mélomane et mélodramatique des millénaires. Je me remémore ses doigts ondulant autour de mes seins, puis les frissons qui en résultaient simultanément, florissant au contact de sa peau. Et son être en moi, délicieux moment de chute, où le mental s’abandonne enfin au physique; quand l’éternité semble palpable, après tout. L’entremêlement de la force et de la vulnérabilité, les deux moteurs contraires du monde, qui délaissent leur véhémence mutuelle le temps d’un instant, en s’enlaçant, pour faire éclore cet elixir universel, cette synesthésie ultime qu’est l’orgasme.

Au fond, l’addiction reste inchangée: seul le navire qui l’aborde sur les rives de la santé émotionnelle s’orne d’un nouveau visage. Et nul ne vous prévient à l’école des dangers de l’amour. On s’empresse d’informer la jeunesse, fruit d’innocence, du nombre de morts causés par l’alcool et l’héroïne, mais on s’abstient de donner les statistiques vertigineuses de ceux et celles qui ont péri par coeur brisé, cette maladie virale, cancer redoutable de l’humanité ancienne, moderne et post-moderne sûrement, dont le remède unique est l’annihilation des dernières particules de force ayant la chance d'y avoir survécu.

Si la destruction mène inéluctablement à la création, alors me voilà artiste à la carrière illustre. Depuis ce début de la fin, la totalité de mes atomes s’unissent chaque seconde pour former un cri de lamentation interne - triste chorale chétive. Ils se multiplient dans cette vibration des voix pour ensuite se déchirer, comme le tissu de mes organes, devenus engins moisis dans un corps vidé. Mon corps. Autrefois havre de bonheur, éclairé par la lueur de mon espoir amoureux, il demeure aujourd’hui comme espace creux, sombre et lugubre, aux airs d'hôtel en bord d'autoroute.

Pour toi, c’était court, agréable, léger—comme le premier café-clope du matin. Un moment parmi tant d’autre, une parenthèse à collecter, à rajouter à l’amas de petits bouts de tissus émotionnels qui te composent, et font de toi un semblant d’être, une illusion parfaite. 

Mais moi, je ne suis plus qu’un produit défectueux, dénué de ce qui faisait de moi une femme, une vraie de vraie, non pas une poupée factice comme celles dont tu aimes t’entourer maintenant que tu cherches l’amour dans l’esthétisme; que tu aspires aux romans à l’eau de rose. Je te déçois, je sais : je ne suis pas faite de poudre d’astres, ni d’étincelles. Je suis faite de sang, d’eau tiède, d’urine et de transpiration. 

Je suis réelle ; mais pour toi, cela se traduit par la conséquence désastreuse d’un monde imparfait. Et pourtant, quand j’existais, j’étais satisfaite par cette vérité pure. J'aimais qui j'étais. J'étais fière de mes cicatrices. 

Mais maintenant, je n’en veux plus. J'ai plongé tête première dans le terrier du lapin blanc. Et au comble du cliché de la femme heurtée, je cherche désormais l’artifice. Je cherche la facticité. 

Et par-dessus de tout, je cherche la douleur.


Parce que la douleur, c’est tout ce qu’il me reste de toi.